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Le Potentiel va plus loin avec
Paul Lukunku Kanyama
* Les élections de juin 2005 : mythe ou réalité ?
Il n'est pas homme à présenter. Maître Paul Lukunku Kanyama,
c'est de lui qu'il s'agit, est avocat près la Cour d'Appel de Kinshasa.
Il est connu par les nombreux lecteurs du Potentiel pour ses analyses et autres réflexions qu'il a l'habitude de faire passer dans ses colonnes et dont la profondeur, la richesse et la pertinence mettent tout le monde d'accord.
Interview de Me Paul Lukunku dont la trame repose sur les prochaines échéances électorales.
Pour bien réussir les élections de juin 2005, vous suggérez comme l'une des conditions préalables la nécessité d'avoir une classe politique sérieuse et responsable. Voyez-vous un lien entre cette exigence et le livre que vous aviez publié en 2002 dont le titre est «Penser le pouvoir : Une Stratégie pour le Développement» ?
Pour bien cerner cette question, je pense qu'il faudrait au préalable épingler en deux mots les tares propres aux dirigeants politiques congolais, lesquelles contrairement à ce à quoi on assiste sous d'autres cieux, ils sont focalisés sur des intérêts égoïstes alors qu'ils devaient l'être davantage pour la sauvegarde des intérêts supérieurs de la nation. Ainsi, le profil idéal du dirigeant politique congolais consistera dans les qualités suivantes : *L'honnêteté, le patriotisme et la culture de l'excellence. Quand je parle du patriotisme, il s'agit du patriotisme bien compris qui se distingue nettement du chauvinisme. En parlant de l'honnêteté,j'envisage l'ensemble de l'Ethique qui devrait constituer le Vade mecum du dirigeant congolais. A ce sujet, je voudrais saisir l'occasion pour cristalliser une des vertus majeures qui font défaut à l'homme politique congolais, celle de savoir se gêner pour ne pas être gêné soi-même et surtout pour ne pas gêner les autres. Est-ce d'autant plus que nos dirigeants politiques se sont inventé, un adage qui prétend que « le ridicule ne tue pas ».* Enfin, une autre série de qualités se retrouvent dans le désintéressement face aux gains sordides, en ce sens le dirigeant idéal devrait être dépourvu de l'esprit mercantiliste. Il devrait s'agir d'un homme capable de concilier la modernité avec les exigences de sa société. Par ailleurs, ce sera un homme capable de mobiliser les énergies de ses concitoyens pour les mettre au travail avec discipline et méthode - bref, un homme qui pense République …...
Vous affirmez dans votre article que les élections de juin 2005 ne pourront réussir pareillement qu'en présence d'un peuple mûr politiquement. Ainsi, que devrait-on faire pour mieux inculquer à la population les vertus démocratiques ?
Tout à fait d'accord. J'insiste là-dessus, les élections dans notre pays n'auront de sens que lorsque notre population aura acquis un minimum des vertus démocratiques telles que la tolérance ou l'acceptation de nos différences politiques ou autres, le refus du tribalisme, la conscience d'être un sujet de droits mais aussi d' obligations civiques, etc …
En sciences politiques, il y a certaines institutions qui sont considérées comme les plus aptes à vulgariser l'éducation au sein de la population. Il s'agit des partis politiques dans leur rôle d'éducation de la masse, les écoles classiques à travers les cours de civisme, les Eglises et enfin les familles au niveau de base.
A ce sujet, tout en déplorant la démission funeste des partis politiques dans ce rôle d'éducation de la masse, je rends un hommage prononcé à l'endroit de l'Eglise Catholique de notre pays qui a initié, tous azimuts, une campagne de sensibilisation de la population, sur les enjeux des élections de juin 2005 et sur l'éducation civique responsable.
Ne doit-on pas considérer que l'Occident favorise l'installation de la pseudo-démocratie en Afrique par la reconnaissance des résultats des élections empreintes de tricherie ou celle des coups d'état constitutionnels ou militaires ?
Avant d'accuser les autres, les Africains feraient mieux de reconsidérer d'abord ce qui se passe dans leur camp. C'est de bonne guerre. Dans les relations internationales, il faut faire taire les sentiments. C'est un monde des calculs. Les Africains oublient souvent la phrase prononcée par le Général de Gaulle « Entre les Etats il n'y a que des intérêts ». Je pense qu'on ne manipule que celui qui est susceptible de l'être. Nous autres Africains nous devons nous poser la question de savoir « comment et pourquoi les occidentaux, qui ne sont pas des enfants de chœur, loin de là, ne manipulent pas facilement les autres peuples responsables et normaux, seulement les Africains et à loisir ». De la réponse à notre question viendra un début de changement dans les relations Afrique-Occident.
Quelle est la responsabilité de la classe politique congolaise dans l'enlisement de la crise au Congo ?
A mon avis, je pourrais situer la responsabilité de la classe politique congolaise, dans la survivance de la crise du Congo, à deux niveaux différents. D'une part, il y a un facteur exogène à la classe politique congolaise, c'est-à-dire un élément indispensable de sa volonté directe. Il s'agirait plus de l'héritage du colonialisme. En effet, l'immaturité politique, la non-préparation d'une élite à prendre la relève du colonisateur, dérive d'une politique volontariste de ce dernier. Contrairement d'ailleurs à ce qui se faisait dans les colonies françaises. Ainsi, à l'indépendance, le Congo s'est retrouvé avec une classe politique désorientée, ignorant les tenants et les aboutissants de la véritable politique laquelle, en définitive, s'est réfugiée dans la jouissance des privilèges de la politique. D'autre part, il y a ce que j'appellerais le facteur endogène à la classe politique congolaise, c'est-à-dire un élément lié à la volonté propre de l'homme politique congolais. Il s'agirait d'une volonté délibérée de ne pas s'améliorer, après plus de 40 années d'indépendance politique. Au total, la complaisance dans sa médiocrité. De ce point de vue, nous dénonçons le fait que l'homme politique congolais a fait de cette discipline non pas l'art de gérer la cité mais son gagne-pain, d'où la prolifération des partis-alimentaires ou des partis-malettes qui faussent le bon fonctionnement du système politique classique. Dans cette optique, l'homme politique congolais se rendant compte qu'il ne pourrait rien améliorer au sort de ses concitoyens, joue au paraître et au pourrissement de la situation, au jouisseur invétéré et à l'apprenti sorcier.
Parmi les tares qui affectent l'homme politique congolais, vous dénoncez l'immaturité politique et l'amateurisme qui vous paraissent impardonnables. Mais à part cela, n'y en a-t-il pas d'autres que l'on pourrait reprocher à cet homme politique ?
En effet, une société moderne irréprochable doit pouvoir être gérée par des animateurs incarnant certaines valeurs et capables d'élaborer une pensée constructive.
D'ailleurs, la gestion de l'Etat depuis la Grèce Antique n'était pas laissée à n'importe qui. Elle était réservée aux seuls philosophes, ce n'était pas le fait du hasard comme on l'observe aujourd'hui chez nous. En effet, à Athènes ou ailleurs, la gestion de la Cité était l'apanage des philosophes qui en avaient fixé des critères rigoureux d'éthique, de moralité et de compétence. Chez nous, effectivement cette exigence de rationalité et de moralité a été foulée aux pieds. Le pouvoir est désacralisé et largement ouvert. Tout le monde peut y accéder sans aucune condition rationnelle, ou plutôt la condition c'est d'être un cafouilleur ou un beau-parleur, sans plus. A tel point que tout un chacun s'imagine pouvoir conduire les destinées du pays. De sorte que, dans notre société, il n'y a plus de repères ni de modèles pour stimuler l'émulation des jeunes gens.
Mais, à les voir à l'œuvre sur terrain, nos dirigeants politiques semblent dénués de toutes ces valeurs d'homme d'Etat telles que le patriotisme, l'honnêteté intellectuelle, une réflexion pratique, etc …
De la même manière, on peut épingler chez l'homme politique congolais l'individualisme, l'égoïsme au niveau de la gestion, le tribalisme, la mauvaise foi, etc …
Comment envisager-vous le role joué par l'rmée dans lesdifférents échecs lors des moments décisifs de notre histoire nationale?
L'Armée est, à notre avis, la clé de réussite d'une quelconque recette politique. Elle représente le pion majeur sur l'échiquier national ou international.
Dans notre pays cependant, l'Armée a eu à jouer un tel rôle déstabilisateur qu'on pourrait la comparer à un virus qui a infecté un corps vivant.
Face à ce triste constat, j'estime qu'il est grand temps pour notre pays de pouvoir organiser son Armée. Il faudrait procéder non pas à une juxtaposition des différentes milices, mais créer une nouvelle Armée apolitique et républicaine, où les critères de recrutement seront objectifs et bien définis. C'est donc cette Armée rénovée tant dans ses hommes, ses moyens que dans son esprit qui devra notamment assurer le respect des urnes par exemple. Penser ou agir autrement c'est tomber droit dans les mêmes pièges du passé.
A vous entendre parler, l'on a comme l'impression que la République démocratique du Congo n'a pas encore atteint l'étape d'un Etat de droit. Alors, comment définissez-vous un Etat de droit ?
Un Etat de droit est celui dans lequel la norme juridique est respectée et effectivement appliquée.
La population tout comme les diverses autorités sont soumises au respect de la légalité.
Mais, dans notre pays, je ne pense pas que l'on puisse dire qu'on se trouve dans un Etat de droit. En effet, on a qu'à considérer, par exemple, le vécu quotidien du Congolais. Combien de gens connaissent l'importance des feux de signalisation routière et combien les respectent ?
L'Etat de droit ne se décrète pas, ça se vit dans la pratique. Autrement ça sera une fiction ou une simulation d'Etat que nous sommes en train de vivre.
Comment envisagez - vous l'avenir de la République démocratique du Congo d'ici 5 ou 10 ans ? En d'autres termes, comment sortir le Congo de ce bourbier ?
Je dirai que tout est question d'une volonté politique réelle, laquelle fait défaut à ce jour.Ailleurs, l'on constate qu'il y a volonté sincère de s'en sortir à court, moyen ou long terme par des réalisations concrètes. Cependant, s'agissant de la République démocratique du Congo, je me demande si l'on ne pourrait pas paraphraser les dires d'Axelle Kabou par cette question : « Et si le Congo refusait le développement ».
Certes, nos dirigeants actuels se complaisent dans des discours politiques et la magie des mots avec des slogans tels que la reconstruction nationale, ou encore élections démocratiques et transparentes ou enfin partage équitable et équilibré du pouvoir.
Tout le monde voyage, admire les progrès accomplis ailleurs mais pourquoi ne pas faire autant ne fût-ce que pour la fierté nationale.
Donc, le vrai développement de la République démocratique du Congo est difficile à envisager avec des dirigeants qui ne manifestent pas un comportement susceptible d'entraîner le développement. Ici, je voudrais épingler chez le leader congolais le manque de curiosité intellectuelle et l'absence d'un esprit d'innovation. En effet, comment par exemple expliquer que le dirigeant congolais, politique ou non, ne soit jamais en mesure de réaliser, dans son propre pays, les bienfaits de la modernité ou le confort qu'il découvre avec stupéfaction, au cours de ses divers voyages, auprès d'autres peuples plus développés que lui.
Pourquoi l'homme congolais est-il incapable d'intégrer dans sa mentalité l'esprit de créativité, d'innovation, bref du développement ?
La gestion de l'Etat est assimilée à celle d'un lien privé avec l'objectif non pas de satisfaire l'intérêt général, mais des désirs personnels. Alors qu'à l'époque coloniale, notre pays avait été construit et nous a légué une économie des plus performantes sans le concours des partis politiques.
Aujourd'hui, la République démocratique du Congo compte une centaine de partis politiques. Je précise que je ne suis pas contre le multipartisme. Mais simplement, je constate qu'avec tous ces différents partis et mouvements politiques, notre pays est, malgré tout, incapable de s'en sortir.
Alors, je me pose la question : quelle est la signification réelle des élections qui n'amèneraient fondamentalement rien de nouveau à ce que l'on connaît ? Le tout n'est pas de changer des acteurs politiques, ce qu'il faut, c'est un changement de mentalité accompagné de vrais projets de société.
Tout le déficit que ce pays connaît réside dans les méthodes de gestion. L'Etat est devenu un refuge de prétendants de tout bord.
Journaliste-analyste des problèmes africains, Stephen Smiths déclare que le réveil de l'Afrique n'est pas possible avant 150 ans. Qu'en dites-vous ?
Parler au nom de l'Afrique me semble présomptueux en ce qui me concerne. Néanmoins, la vision de ce brillant analyste ne relève pas de la fiction ni de l'afro-pessimisme comme d'aucuns voudraient le prétendre.
C'est plutôt un afro-réaliste qui examine les problèmes de notre continent sans complaisance et sans état d'âme. Son analyse me semble pertinente.
Et pour mieux illustrer ses appréhensions, je conclurai, en paraphrasant Maître José Patrick Nimy Mayidika Ngimbi qui, dans son ouvrage « Des défis pour la République », s'associe à M. Smiths en ces termes : Pourquoi le Congolais ne change-t-il pas ? Parce que les mauvaises habitudes acquises en République démocratique du Congo depuis les régimes politiques passés ont la carapace si dure qu'il faudra des générations pour s'en défaire ?
Combien de temps encore : 25, 50, 100 ans ? Quelle est cette carapace indestructible ? Pourquoi cette réponse de facilité à une question qui, en vérité, appelle à l'exigence de l'effort et de la volonté ?
A ce jour, l'Afrique ou plutôt le Congo n'offre pas un démenti à son analyse : aucun projet de développement, ni à court, moyen ou long terme, n'est à l'ordre du jour.
Quelle lecture faites-vous en fait de l'Accord global et inclusif concernant la date butoir de juin 2005 ?
Lorsqu'on lit l'Accord global et inclusif, force est de constater que les préalables qu'il impose avant d'arriver au jour J des élections sont loin d'être tous accomplis. Or, d'ici juin 2005 le temps est court, soit sept mois. Est-il possible, en l'espace de ce temps, d'opérer le recensement, de refaire les routes et les ponts ; de sensibiliser la population non seulement dans les villes mais aussi jusqu'aux confins du pays, de former la conscience des surveillants des urnes, de battre respectueusement campagne électorale etc, etc. Cette situation autorise de douter du respect de la date de juin 2005 pour tenir les élections que tous veulent libres, démocratiques et transparentes. C'est sans doute en pensant à ces nombreuses charges que les signataires de l'Accord global et inclusif avaient envisagé la possibilité d'une prolongation de deux fois six mois que la Commission électorale indépendante a seule la latitude de proclamer. C'est sans doute réaliste. Car il faut cesser de rêver. Pour revenir à notre livre, dont le thème a été évoqué au début de cet article, je pourrais dire que le nœud de la question pour le dirigeant congolais consiste dans l'obligation de «Penser le Pouvoir ».
Il est triste de devoir dire que, face à un poste politique, le Congolais ne pense qu'aux avantages qu'il peut en tirer pour lui et non aux exigences que requiert ce poste pour un mandat destiné à servir les intérêts supérieurs de la Nation.
Autrement dit, ce qui prime alors pour lui, c'est de jouir du pouvoir au lieu d'en assumer dignement la responsabilité et d'en assurer avec compétence le noble service. En fait, l'idéal pour ce jouisseur, c'est un véritable carpe diem.
Cette tendance au pouvoir-jouissance agit à l'instar d'un virus qui a contaminé les proches et, en particulier les membres de sa tribu qui se comportent en actionnaires du pouvoir. On se souvient de ces ministères où la langue de la tribu était devenue celle de travail.
Le pouvoir-jouissance est loin de conduire à un développement durable qui exige une rigueur d'éthique et une rationalité. Ce que nous voulons, c'est un pouvoir bien pensé tant dans son essence que dans la personne des citoyens appelés à l'exercer.
Ainsi préparées dans cette vision des choses, les élections de juin 2005 seront non un mythe mais une réalité pleine de promesses.
Ce qui est notre souhait à tous.
Propos recueillis par Fréderic Mulumba Kabuayi wa Bondo


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